Les îlets de Petite Terre, une réserve exceptionnelle
Publié le 13 déc. 2022Nathalie Aubert et Fabien Lefebvre - Association ACWAA
Après nous avoir emmenés plonger de nuit en Martinique, Fabien Lefebvre et Nathalie Aubert nous proposent de partir à la découverte de la Réserve naturelle nationale des îlets de Petite Terre en compagnie de Jean-Claude Lalanne, garde animateur à l’association Titè. Située à une vingtaine de kilomètres à l’est de la Guadeloupe, la réserve est notamment connue pour être une nurserie pour les requins citron et pour abriter une importante population d’Iguane endémique des Petites Antilles.
« Archipel inhabité depuis 1984, situé entre La Désirade et la Guadeloupe, les îlets de Petite Terre sont classés Réserve naturelle nationale depuis 1998. D’une superficie totale de 990 hectares (842 ha pour la partie marine et 148 ha pour la partie terrestre), la réserve se compose de deux ilets : Terre de Haut, dont l'accès est strictement réservé aux scientifiques, est le paradis des oiseaux et un site de ponte pour les tortues marines, et Terre de Bas, d’une superficie de 117 hectares, est accessible aux visiteurs du lever jusqu’au coucher du soleil. Les deux îlets sont séparés par un chenal de 150 mètres de large. »
« Le phare de Terre de Bas est le plus ancien phare de Guadeloupe ! Son fonctionnement est aujourd’hui complètement automatisé, mais autrefois une présence constante était indispensable. Le dernier gardien et sa femme ont quitté l'île en 1972. Une salle d’exposition a été aménagée dans la partie basse du phare pour donner des explications aux visiteurs sur la biodiversité présente sur le site. »
« Les ilets de Petite Terre ont obtenu le statut de Réserve naturelle nationale en 1998 afin de protéger leur biodiversité exceptionnelle. L’association désiradienne Titè en est le gestionnaire principal en cogestion avec l’ONF. Titè fut créée en 2002 à la demande de la municipalité de La Désirade afin d’impliquer davantage la population locale dans la gestion du site. “On a la chance d’avoir beaucoup d'éco-volontaires prêts à s'impliquer pour renforcer les équipes sur le terrain ! C'est une aide très appréciable.” témoigne Jean-Claude Lalanne, garde animateur de la réserve. »
« Les eaux autour de Petite Terre représentent la plus grande nurserie de requins citron (Negaprion brevirostris) des Antilles françaises. Ce requin se trouve principalement le long des zones côtières et est facilement reconnaissable par la taille quasiment identique de ses deux nageoires dorsales. Une femelle peut atteindre 3,50 m et peser jusqu'à 200 kg. Son nom est dû à la coloration jaune/brun de sa surface dorsale et blanc jaunâtre de sa face inférieure. Comme l’être humain, l’espèce est vivipare. Matures sexuellement vers l’âge de 12 ans, les femelles reviennent sur le lieu exact où elles sont nées pour mettre au monde 3 à 20 petits. Une particularité rare chez les requins. »
« La réserve collabore avec le réseau REGUAR et l’association Kap Natirel pour l’observation et le suivi des naissances de requins citron. Lorsqu’ils sortent des zones peu profondes, les chances de survie des nouveau-nés sont très faibles notamment à cause du cannibalisme des adultes et des autres requins. Comme beaucoup d’espèces de requins, leur population diminue en raison des pressions humaines : captures accidentelles, appauvrissement des ressources lié à la surpêche, consommation dans certains pays, etc. Ils sont classés “quasi menacés” par l’UICN. »
« Facilement reconnaissable à leur tête plate ornée de deux barbillons, les requins-nourrice (Ginglymostoma cirratum) juvéniles et subadultes sont fréquemment observés dans les eaux de la réserve. Plutôt actif la nuit, le requin nourrice passe une grande partie de la journée immobile au fond de l’eau, ce qui lui vaut le surnom de requin dormeur. Contrairement à d’autres espèces de requin, il n’a pas besoin de nager pour respirer. Il est appelé requin-nourrice car l'aspiration de ses proies rappelle la succion des nourrissons. »
« Lors d’une prospection dans le lagon, nous croisons une raie pastenague américaine accompagnée d’une Carangue arc-en-ciel (Caranx melampygus), fouissant les fonds en quête de nourriture. Muni d’un ou deux dards venimeux sur le pédoncule caudal, cette espèce peut atteindre 2 mètres d’envergure. Elle est aujourd’hui considérée quasi menacée par l’UICN au niveau mondial. Trois espèces de raies sont recensées sur la réserve : la Raie léopard (Aetobatus narinari), la Raie pastenague américaine (Hypanus americanus) et la Raie pastenague épineuse (Bathytoshia centroura). Elles appartiennent à la même classe que les requins, celle des Chondrichtyens, autrement dit des poissons cartilagineux. »
« Le lagon est protégé par une très belle barrière de corail dont les cornes d'élan (Acropora palmata) sont les joyaux. Ils sont malheureusement classés en danger critique d’extinction sur la liste rouge de l’UICN. C’est un milieu fragile, impacté par la pression touristique. Une zone délimitée par des bouées de signalisation est interdite au public. Deux zones d’exclusion ont également été installées pour protéger les herbiers des piétinements des visiteurs. Ces zones abritées permettent la régénérescence de la vie afin d'enrichir et de préserver la biodiversité du milieu marin. “Pendant le confinement on a maintenu notre rôle sur Petite Terre. C’est à ce moment-là qu'on s’est vraiment rendu compte de l’impact généré par la présence humaine” témoigne Jean-Claude Lalanne. »
« La réserve est gardée en permanence. Le personnel affecté à la gestion du site se relaie environ tous les 4 jours pour effectuer diverses missions :
- Surveillance
- Entretien des sentiers de gestion et des équipements
- Suivi des protocoles scientifiques (poissons, requins, tortues, iguane, lézards, , coraux, herbiers, gaïacs, oiseaux, prolifération du rat noir, etc..)
- Accueil du public et sensibilisation à la réglementation
- Gestion de la fréquentation sur les réserves
- Interventions pédagogiques auprès de différents publics »
« La fréquentation du site est régulée par un planning encadrant les prestataires écotouristiques autorisés. Les excursionnistes répondent à des critères de sélection stricts et se doivent de sensibiliser leurs clients au respect du lieu et de ses espèces emblématiques. Un guide de bonne conduite à été élaboré par l'association Tité, l’ONF et le Conservatoire du littoral et des formations leur sont dispensées pour limiter l’impact du tourisme sur l‘environnement. L’ancrage autour des îlets est totalement interdit, il est obligatoire de réserver une bouée de mouillage avant de se rendre à Petite Terre. »
« Endémique des Petites Antilles et considéré en danger critique d’extinction l’Iguane des Petites Antilles (Iguana delicatissima) est une espèce emblématique de la partie terrestre de la réserve, qui en abrite la plus grande concentration : plus de 10 000 iguanes y ont été recensés soit ⅓ de la population mondiale pour cette espèce. Protégés, ils bénéficient d’un plan national d’action. Le caractère isolé des ilets lié à la surveillance des gardes offre aux iguanes un refuge adéquat, les protégeant de la compétition et de l’hybridation avec l’Iguane commun (Iguana iguana), introduit aux Antilles et considérés comme une espèce exotique envahissante. »
« En juin 2022, la première étude sur la faune scorpionique de Petite Terre a été publiée. Deux espèces ont été recensées : Centruroides pococki, présent également dans plusieurs îles des Petites Antilles, ainsi qu’une nouvelle espèce du genre Oiclus qui serait probablement endémique de Petite Terre. Baptisé Oiclus tite en hommage à l’association, il mesure environ 2,4 cm. Une découverte qui porte maintenant à 7 le nombre d'espèces du genre Oiclus dont 5 sont présentes dans l’archipel Guadeloupéen. »
« Les lézards sont très communs dans les Petites Antilles, beaucoup d'espèces s’observent facilement. Malgré sa petite superficie comparée aux autres îles de la Caraïbe, la réserve abrite deux lézards endémiques : le scinque mabouya (Mabouya mabouya), dont l’observation est extrêmement rare, et l’anolis marbré de Petite Terre (Ctenonotus marmoratus chrysops), l’une des nombreuses sous-espèces d’Anolis marbré, très proche parent de son homologue désiradien l’Anolis marbré de La Désirade (Ctenonotus marmoratus desiradei). »
« Les suivis ornithologiques réalisés annuellement montrent que les salines de Terre de Bas constituent de véritables refuges pour les oiseaux, qu’ils soient résidents, saisonniers ou migrateurs. Peu commune dans la région, nous rencontrons cette échasse d’Amérique (Himantopus mexicanus) en alimentation. L’espèce est considérée « en danger » sur la Liste rouge de l’UICN.
“Les oiseaux nichent plutôt sur Terre de haut, c’est la partie strictement interdite d'accès aux visiteurs ce qui permet d'éviter le dérangement. Les petites sternes viennent également pondre à Terre de Bas sur des plateformes qu’on a fabriquées pour mettre les nids à l'abri des rats et des bernard l’hermites qui mangent les œufs" nous confie Jean-Claude Lalanne. »
« Surexploité pour la dureté de son bois imputrescible et les propriétés médicinales de sa résine, le Gaïac (Guaiacum officinale) est aujourd’hui une espèce protégée. Depuis 2014 l'équipe des réserves de La Désirade a initié un projet de replantation à Petite Terre.
“Les gaïacs présents à Petite Terre ne se renouvellent pas ! On trouve des arbres adultes d’une quarantaine d’années environ pour les plus jeunes mais pas de nouvelles pousses. Pourtant une étude réalisée sur place a permis de mettre en évidence que leur fructification se fait correctement. Depuis 2016, environ 300 arbustes de gaïac ont été plantés. Les suivis, les arrosages et la surveillance font partie de nos missions de garde" explique Jean-Claude Lalanne. »
Pour en savoir plus sur la cogestion de la réserve, consultez le site des Réserves naturelles de la Désirade et de Petite Terre et suivez leurs actualités sur Facebook.
Pour connaître les missions de l’ONF Guadeloupe, rendez-vous sur le site internet et suivez leurs actualités sur Facebook.
Pour en savoir plus sur l’archipel Guadeloupéen, consultez le portrait du territoire !